De quoi jouit l’archiviste ? Méditation certalienne sur le "vol d’âme" 2.0
Abstract
Quoiqu’il thésaurise des traces du monde, l’archiviste n’est pas tout à fait un croque-mort du document. Il y a bien une vie de l’« archive », mais en quoi intéresse-t-elle le corps vivant ? Interroger ce lien archives-corps avec la psychanalyse, c’est s’aventurer sur une passerelle que Michel de Certeau avait lancée sans l’emprunter tout à fait. Philippe Artières ou Elisabeth Roudinesco y ont fait quelques pas en illustrant comment des archives peuvent faire l’objet de projections fantasmatiques et d’investissements libidinaux.
Une anecdote institutionnelle — le refus d’une proposition d’archivage numérisé des nombreuses créations des patients d’un établissement psychiatrique — fournit ici l’occasion paradigmatique d’interroger, à partir de l’éthique de la psychanalyse, l’économie pulsionnelle qui sous-tend les décisions d'archivage.
Si l’archivage est une objectification, une fétichisation, à quelles jouissances ces objets sont-ils destinés ? Quelles satisfactions visent et alimentent les gestes ordinaires qui ponctuent la vie des archives (capture, classement, mise à disposition, exhibitions) ?
La question prend toute sa voilure en tenant compte qu’à côté des archivistes professionnels se multiplient, par la grâce des technologies numériques, les archivistes amateurs encouragés à une mise en boîte du monde toujours plus effrénée.