Le je disséminal de Roland Barthes
Abstract
Dans un entretien avec Jacques Chancel, Roland Barthes affirme : « c’est à l’autre à dire qui je suis, c’est lui qui a la parole sur moi [. . .]. Quelque effort que je fasse la parole sur moi sera toujours factice ». Dans Roland Barthes par Roland Barthes (1975), le moi s’économise, la personnalité s’épuise progressivement jusqu’à atteindre un degré zéro de la personne. Néanmoins, cette asthénie du je va de pair avec un épaississement du grain de la voix si singulière de Barthes, rendue lisible et visible par la fiction (dans le sens de façonnage, de manufacture) d’un Moi hybride. En effet, l’ouvrage s’ouvre sur la mention manuscrite : « tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman » et est suivie de quelques dessins et de photographies commentées. Le livre du Moi de Roland Barthes semble exhiber les origines et l’archéologie d’un moi qui se détache toujours un peu plus au fur et à mesure des images, des dessins et des fragments d’un corps embarrassé de lui-même qui se donne à lire et à déchiffrer jusqu’à sortir du texte. Roland Barthes par Roland Barthes propose au lecteur un imaginaire d’écriture où le je se décline à la troisième personne, sujet de verbes souvent conjugués à l’aoriste. Il s’agit par conséquent d’un mouvement résolu d’évitement et d’évidement de la biographie, d’« un roman sans noms propres », roman impropre dont le sujet impersonnel n’a de cesse de s’effacer dans le noir de l’écriture.