« Représenter "ce que la presse n’aurait jamais dû cesser d’être". Le discours d’une avant-garde journalistique »
Résumé
Cette communication propose une analyse sociologique des luttes de légitimation d’un groupe d’intérêt militant, la Coordination permanente des médias libres (CPML). Les activités revendicatives de ses représentants pour la défense de médias « libres et indépendants » reposent sur un cadre d’injustice universaliste : la lutte pour la liberté d’expression et le pluralisme. Les agents tendent cependant, à travers des revendications portant sur la « liberté d'information » et les conditions de travail de « journalistes indépendants » précarisés, à s’enfermer dans un rôle de révolutionnaires spécifiques, capables d’utiliser le contrôle qu’ils possèdent des règles du jeu journalistique contre ceux qui le dominent. Dénonçant publiquement une crise morale et structurelle de la profession, ils entendent « représenter ce que la presse n’aurait jamais dû cesser d’être ». La stratégie initiale du groupe sur la période 1999-2006, est tournée vers la constitution d’un « tiers secteur des médias ». Toutefois, au cours de la période récente (2014-2020), cette lutte laisse davantage place à une stratégie de consécration professionnelle de cette « avant-garde bohème » du journalisme. Une telle stratégie tend à donner un avantage aux mieux dotés en ressources professionnelles, au détriment des profanes. Mais sans l’engagement de ces derniers - enclins à opérer un élargissement du cadre d'injustice - les revendications subversives des premiers tendent à perdre en légitimité. Ils ne parviennent pas – ou rarement – à s’imposer comme des candidats légitimes à l’occupation de positions concurrentielles dans le champ journalistique. Les investissements du groupe dans la production de discours de légitimation méta-journalistiques centrés sur les « médias libres » et la recherche des moyens matériels et symboliques visant à renforcer leur autonomie ainsi que leur reconnaissance institutionnelle, révèlent ainsi l’ambivalence de leurs ambitions de changement des règles du jeu professionnel. Si, d’un côté, ce travail politique est susceptible de renforcer l’identité publique et la cohésion du groupe, il contribue, d’un autre, à les affaiblir en cristallisant les tensions internes entre professionnels et profanes. Ils fournissent ce faisant des points d’appuis critiques aux entreprises concurrentes de représentation des « médias libres », aux journalistes des médias de grande diffusion et aux acteurs politiques et bureaucratiques susceptibles d’accéder à leurs revendications. L’enquête de terrain, conduite en France, entre 2014 et 2018, comprend des entretiens, des phases d’observation participante et une analyse de corpus. 24 entretiens semi-directifs ont été conduits auprès de membres actifs de la CPML et de personnes impliquées dans ses activités, ainsi qu’un entretien collectif (focus group). Quatre séquences d’observation participante ont été menées. Enfin, l’analyse de corpus documentaire comporte les messages de la liste de diffusion électronique nationale (800 mails), les pages du site web de la CMPL, notamment les textes de présentation des membres (46 textes), les communiqués de presse (26 textes), les sites web et/ou publications des organisations membres, la couverture des activités du réseau par la presse généraliste nationale et régionale.