De la sûreté à la citoyenneté : l'accessibilité du Code civil de 1804
Abstract
Le 5 juillet 1790, l’Assemblée nationale constituante avait décrété « que les lois civiles seraient revues et réformées par les législateurs et qu’il serait fait un code général de lois simples, claires et appropriées à la constitution ». Le code civil était appelé à assurer l’accessibilité de la loi et à constituer une assise de la citoyenneté
L'accessibilité et l'intelligibilité de la règle de droit ont été des préoccupations dont on peut trouver des précédents en droit romain et dans l'ancien droit français. Au XVIIIème siècle, elles devinrent un thème central de la réflexion des Lumières sur le Droit. En France en particulier, la sécurité juridique apparaissait illusoire du fait de la “prodigieuse diversité des coutumes du royaume” (Montesquieu) et du “dédale des lois” (Rousseau) qui, selon Portalis, avaient fini par former “un immense chaos”. La panacée semblait être une législation codifiée. « The principle of justice is that law should be known by all ; and, for its being known, codification is absolutely essential » (Bentham). Tout au long du XVIII ème siècle et jusqu'aux travaux préparatoires du Code civil, philosophes, jurisconsultes, praticiens et législateurs s'employèrent à définir et mettre en œuvre les canons de l’art de rédiger les lois et les codes. A l’instar des projets de Cambacérès, le code civil de 1804 en porte la marque. Comme il était recherché que tous les hommes pussent les comprendre (Diderot), il convenait de les rédiger dans la langue naturelle du pays, autant que faire se pouvait en termes familiers aux gens du peuple (Bentham, Nakaz, Cambacérès). D’une manière générale, leur dispositif devait répondre aux impératifs de clarté, de simplicité, de limpidité, de concision et leur rédaction être un modèle de précision. « Les paroles des lois doivent se peser comme des diamants » (Bentham) ; le sentiment commun était que « toute loi qui n’est pas claire, nette, précise, est vicieuse » (Encyclopédie). De ce point de vue, les ordonnances du chancelier Daguesseau constituaient l’archétype (Prévost de La Jannès). Et nul ne démentait Domat pour qui la langue française paraissait “la plus propre” à l’expression des lois. Par ailleurs le législateur était appelé à se souvenir que « les lois ne sont point un art de logique, mais la raison simple d'un père qui s'intéresse au bien de ses enfants et de sa famille » (Nakaz). Le plan du code en particulier devait être à la portée des gens du peuple (Bigot-Préameneu) : il était impératif de le construire selon l’ordre naturel des choses et d’aller du général vers le particulier selon la méthode cartésienne. Cet ordonnancement logique et rationnel impliquait une numérotation continue. Pour un de ses écrits, Richer d’Aube l’avait justifiée en exposant que son ouvrage « n’[était] que comme une suite de raisonnements, l'ordre des conséquences et l'enchaînement des idées ». Pothier n'avait pas dédaigné non plus y recourir dans ses traités. Sous la Révolution, le code pénal du 3 brumaire an IV ainsi que les deuxième et troisième projets de code civil de Cambacérès avaient suivi la même démarche. Cette numérotation continue présentait aussi un autre avantage d’ordre pratique, elle rendait plus aisés son maniement et son utilisation (travaux préparatoires du Code civil). Pacte au sens premier, spécialement destiné à prévenir les querelles et procès ainsi qu’à régler les différends, le code devait nécessairement être complet. Pour autant, il ne devait pas ouvrir la voie à la chicane par la multiplication des exceptions et limitations et par la profusion de subtilités et de casus. « De pareils détails jettent dans de nouveaux détails » avait averti Montesquieu. Il fut entendu par le législateur du Consulat, ce dernier prit le parti « d’établir des principes féconds en conséquences et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière » (Discours préliminaire). Pour cette raison, il ne partageait pas l’idée de Bentham d'assortir chaque texte de loi d'un rationale explicatif du dispositif. Il était redouté que ce rationale ne devînt matière à commentaires doctrinaux, sources de controverses et matières à chicanes. De même l’A.L.R. faisait figure de contre-modèle. Jugé par trop axiomatique et systématique, il fut qualifié d'“algèbre de la jurisprudence” (Bernardi). La “surabondance de doctrine” (Jaubert) était à bannir et une codification selon un mode mathématico-déductif à proscrire, car le code ne pouvait pas être un domaine réservé à des experts. Par nature, ses destinataires étaient les citoyens.
C’était un lieu commun de l’Esprit du Siècle que les droits et devoirs du citoyen étaient définis par la loi. « C’est bien là le sentiment d’une nation vraiment libre, […] qui ne veut pas que sa propriété, ses travaux et leurs produits, toute son existence enfin, soient mis à la merci d’une volonté individuelle, mais plutôt et uniquement confiés à la loi et textuellement garantis par sa toute-puissance » (Mailla-Garat). Il revenait au législateur de fixer un regimen morum en déterminant les boni mores à travers les dispositions du code. En pratique, le propre d’un code était ainsi de poser des règles de conduite individuelle et d’ordonnancer toute la vie sociale, il lui revenait de tracer à chaque citoyen la règle et la mesure actuelle de ses droits et devoirs. Portalis résumait : « Qu’est-ce qu’un Code civil ? C’est un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêt qu’ont entre eux des hommes qui appartiennent à la même cité ». Dès lors qu’un code civil avait pour vocation d’instituer une société, il ne constituait pas seulement une compilation de lois définissant des droits et assurant leur publicité et leur conservation, il était aussi un manuel d’instruction civique. Quand Portalis exposait que « l’ordre civil vient cimenter l’ordre politique », il faisait écho aux rapports de Cambacérès sur ses projets de code. Sous le Consulat, nul ne doutait de la vertu pédagogique du code, il demeurait un instrument d’instruction et d’édification des citoyens. Manuel de morale et de régulation sociale, il dispensait un catéchisme civil. Du commandement de la loi et du conditionnement des mœurs par le code naîtrait le bon citoyen. Inclure son étude dans un programme d’instruction élémentaire (Nakaz, Diderot, Rousseau, Jean de Dieu d’Olivier, projet d’instruction publique de la Révolution) n’était plus une priorité, mais une préoccupation demeurait : « rendre vulgaire la loi » (Celliez). Dans la mesure où aucun des citoyens n’était intéressé par l’ensemble du code, Bentham devait suggérer, quelques années après son adoption, de rédiger deux cents codes spécifiques, distribués selon des catégories de destinataires et comportant exclusivement les prescriptions susceptibles de les concerner : un code pour les fermiers, un code pour les aubergistes, un code pour les ecclésiastiques, un code pour les militaires, etc. « Loger et placer dans l’esprit de chaque homme la portion de la matière de la loi dont dépend son destin est le devoir le plus important du gouvernement », écrivait-il. Législateurs et praticiens français avaient préféré une autre voie. Ils concevaient le code à la fois comme un manuel d'instruction civique et un guide de la vie quotidienne. Régulièrement consulté, il serait un aide-mémoire de leurs droits et de leurs obligations et un memento pratique (Cambacérès). « Le Code Napoléon est fait pour être entre toutes les mains ; il doit être, pour les Français, le livre le plus familier, puisqu’il leur est le plus utile. » (Decomberousse). C’était un point de vue unanimement partagé (Jaubert, Discours préliminaire). De ce point de vue, le code avait la même vocation que la Convention s’était proposé de donner à l’instituteur en 1793 : enseigner les connaissances élémentaires nécessaires aux citoyens pour exercer leurs droits, remplir leurs devoirs et administrer leurs affaires domestiques. Dans cette optique, les différentes entreprises de versification du Code civil ne doivent pas être regardées comme des exercices de style insolites, voire cocasses, leurs auteurs leur attachaient une éminente portée politique. Mettre en vers le Code civil devait en faciliter la mémorisation. Cette versification relevait de la pédagogie du civisme. Elle répondait à un objectif : seulement s’il était connu de l’universalité des citoyens, le code civil remplirait sa destination : être « une véritable charte entre les citoyens » (Decomberousse).
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