"L’emprise de la communication. Retour sur une problématique et ses équivoques"
Abstract
Cet article revient sur le thème de « l’emprise de la communication », exploré dans les années 1980 et 1990 par les recherches sur l’information et la communication. La thématique a émergé afin de caractériser de façon structurale la place croissante de la communication dans les sociétés contemporaines. Ces travaux envisageaient la question en des termes qui, rétrospectivement, paraissent trop généraux : voyant de très loin, ils entraient peu dans les détails. Ils n’en ont pas moins permis de poser les jalons de recherches plus poussées sur le sujet. Leur intérêt majeur était d’esquisser une critique renonçant aux facilités des dénonciations sans appel de l’idéologie de la communication ou d’une société en proie à tous les maux sous l’effet des médias, du spectacle, de la consommation généralisée. Les chercheurs invitaient à multiplier les études locales sur ce que le développement de la communication faisait à tel ou tel secteur d’activités, à tel ou tel métier, à telle ou telle institution, afin de comprendre ce qui se jouait au travers de la « conquête » de la société par la communication. Revenir sur ces questionnements des années 1990, plus de trente ans après, est l’occasion de reformuler cette question de l’emprise de la communication. Dans l’intervalle, l’ambition théorique initiale a été délaissée et les travaux empiriques se sont multipliés. Ils ont permis de documenter de façon précise et contextualisée la place qu’occupent les spécialistes de la communication, l’extension de leurs pratiques et la diffusion des schèmes de pensée propres à leurs domaines d’activité. Mais ce qui était évident alors, à savoir l’emprise que la communication est amenée à exercer, ne l’est plus de manière aussi nette et mérite une reformulation évitant le travers symétrique d’une forme de myopie. L’on souhaite s’interroger ici sur ce que signifie l’évocation d’une telle « emprise » et sur ce que le phénomène recouvre. S’agit-il, d’abord et avant tout, d’une croyance partagée par les spécialistes et experts de la communication, enclins à la défense de leurs intérêts professionnels ? Si tel est le cas, comment expliquer son succès apparent alors qu’ils occupent paradoxalement des positions le plus souvent subordonnées à l’égard de leurs hiérarchies et dans les rapports sociaux de domination qui structurent le champ du pouvoir ? Dans cette logique, comment appréhender les déterminants et effets pratiques de cette sociodicée de « l’emprise de la communication » sur les agents qui ont intérêt à la faire exister et perdurer ?