Ce chapitre se propose de revenir sur le recueil, lors d’entretiens « itinérants », de la parole d’acteurs sociaux engagés dans une socialisation « paradoxale » – ici des jeunes placés en « maison d’enfants à caractère social » par décision administrative ou judiciaire. Ce placement, pour constituer une nécessité, souvent un répit, et parfois une chance, n’en reste pas moins une rupture supplémentaire dans un parcours familial et personnel difficile. L’enquête réalisée auprès des jeunes placés permet de mieux comprendre la nature et la fonction d’un certain nombre d’espaces, que nous avons qualifiés de « lieux à soi » et qui apparaissent comme marqués par une forte appropriation, en même temps qu’ils assurent une forme de médiation avec des espaces ou des époques devenus inaccessibles : lieu privilégié d’une appréhension des ruptures (déplacements, éclatement familial…), ils en laissent prendre la mesure en même temps qu’ils permettent de renouer en partie avec ce « temps perdu » et de revenir sur soi. Les entretiens itinérants pourraient donc constituer un outil privilégié pour saisir la manière dont ces lieux - situés souvent en dehors, mais à proximité et pour ainsi dire en lisière des institutions – permettent, au-delà des ruptures biographiques, d’opérer une suture des facettes hétérogènes de l’existence des enquêtés.